vendredi 17 septembre 2010

Eloge paradoxal de la responsabilité

Je ne vois autour de moi que des libertés déjà asservies et qui tentent de s’arracher à la servitude natale. ( Lettre en réponse à Camus, Sartre )


L’homme est bien souvent condamné à la tristesse: il subit des événements qui l’accable et les nomme “fatalité”. Sans doute, l’être humain ne peut-il pas grand chose face à cette odieuse réalité : que peut celui dont le frère emporté par le hasard et le noir trépas, n’est plus qu’une masse amère et putréfiée ? Que peut celui dont la femme rongée par le triste crabe a du, sans son mari, faire une ultime et funeste lune de miel ? Ce sombre tango est le lot de tous les hommes : l’autre s’éteint pendant que nous lui survivons. Qui pouvons nous ?

Malgré ce constat, l’homme est envahit par la tristesse quand il entend résonner, pour un autre que lui, le pas du lourd Pluton et qu’il voit rejoindre l’immense contingent des morts, ses amis et ses proches. Pourquoi s’accable-t’il celui qui ne peut rien ? Pourquoi s’effondre-t’il celui qui ne pouvait dévier le trait de l’aride archer ? Mais que regrette-t’il cet homme qui n’a aucune prise sur le monde ? L’homme regrette sa liberté qui le rend responsable de ses maux.


La tragédie humaine vient de la conscience de la contingence des événements - est-ce une illusion ? Cela est un autre débat qu’il est inutile ici de développer; elle vient cette connaissance qu’à l’homme de l’immuable savoir humai : je suis libre, je suis responsable. Ces deux savoirs - la Liberté et la Responsabilité - sont les deux faces de Janus : l’un ne va pas sans l’autre. Terribles, ils marchent côte-à-côte ravageant l’espoir humain. Pour échapper au terrible fardeau de la responsabilité, il faudrait accepter la servitude.

Sachant que le fil des événements est soumis à sa volonté et non, à celle des Parques, l’Homme prend conscience qu’il porte le poids du monde. Certes, chacun sait qu’il est responsable de ses actes mais le malheur lui révèle aussi sa responsabilité vis-à-vis du monde. Tel Frantz dans Les Séquestrés d’Altona de Sartre, les sombres chemins du temps nous pousse à prendre le siècle sur nos épaules et à l’assumer.

Le chagrin d’Achille n’aurait pas été aussi grand si la mort de Patrocle était le fruit d’un décret olympien. La tristesse du Péleide vient du fait qu’il est choisi de partir pour Ilion, de voir mourir ses amis et lui-même pour la gloire alors même qu’il aurait pu opter pour le confort et l’oubli sauvegardant du même coup, la vie de son illustre écuyer. Certes, il n’a pas tué Patrocle, mais l’homme aux pieds ailés l’a offert au taciturne Thanatos. Notre situation est la même : les portes du trépas s’ouvrent à nos proches, le monde s’effrite sous nos yeux et nous savons que cela est notre faute car nous pourrions faire tout cesser en rejetant le monde, en le fuyant : il nous reste toujours le choix de cesser de vivre mais nous ne le prenons pas car bon gré mal gré, le monde et ses malheurs nous plaisent. Certes nous ne tuons pas de notre prochain mais nous le regardons tomber, nous admirons l’obscurité recouvre d’innombrables yeux inconnus sans sourciller car nous aimons être libre. Nous acceptons les affres de la responsabilité car nous voulons les jouissances de la liberté.


Pourtant, les hommes ont souvent été incapables de supporter leurs responsabilités et ils ont choisi la servitude : il se plit à un maître - est-ce Dieu ? la Raison ? ou encore, la Réalité ? Cela n’a pas d’importance. Il découvre dans ce maître une nécessité : un point inviolable du monde, un endroit où leurs volontés n’a aucun influence. De ce point, ils peuvent développer un dogme, re-créer le monde. Découlant de cette idée, ils construisent le monde en s’appuyant sur cette nécessité. Ainsi naissent les idéologies, les logiques d’une idée. Le monde qui les entoure devient nécessaire et ils peuvent bâtir un dogme. Ce dogme décrit une conduite vertueuse qui consiste à accepter le monde tel qu’il est décrit par l’idéologie. Or cette conduite vertueuse sauve l’homme de sa responsabilité puisque s’ils s’y conforment alors les malheurs qui les accableront seront les fruits de la nécessité sur lequel ils n’ont pas d’influences. Nietzsche avait tort la religion ne créait pas la responsabilité, elle vise à la supprimer. Croire en une nécessité nous protège de la responsabilité. L’homme espère trouver dans ce maître la fin de ses malheurs, ils espèrent supprimer sa responsabilité. Et pourtant malgré cette servilité volontaire, nous restons libre de mourir et le monde n’en est pas moins empli de larmes.


L’homme est condamné au désespoir : la condamnation à cette maladie mortelle date d’avant notre naissance et survivra à notre mort à tous. Le Styx charrie chaque jour une légion de cadavre où chaque macabre soldat est complice du crime de l’humanité : être libre. La liberté nous offre les pires tourments : celui de devoir accepter le monde et son lot de corps sans vie; mais les plaisirs et les joies infinis que nous réservent cet ambiguë donatrice nécessitent que nous osions regarder et assumer cette lancinante vérité.

lundi 13 septembre 2010

L'oubli, Homère et les Hommes.

Ainsi des hommes : une génération née à l’instant où l’autre s’efface. ( L’Iliade, Homère )


La mort est le lot de tous les hommes : malgré des tentatives désespérés, le noir trépas nous emporte toujours sur les rives du Styx. Pourtant, l'homme n'a pas pu se résoudre à cette fatalité qu'il combat avec véhémence depuis des lustres ancestraux. Les mythes et les religions créèrent des paradis, des vies après la mort où l'homme survit à sa propre fin. Cette tentative de survit semble atteindre la mort dans toutes ses conséquences: ainsi, l'homme se bat-il aussi contre l'oubli, la seconde peau du sombre Thanatos. Car l'homme est bel et bien condamnée à mourir deux fois : quand tous ceux qui l'ont connu, id est deux ou trois générations après la sienne, ont eux aussi été emporté par les déesses du funeste voyage, l'homme disparait dans la masse des hommes qui ont parcouru la terre et qui aujourd'hui ne sont plus q'une masse morte de chair pourrie.

Alors l'homme s'agite : il fait des enfants, recherche ses origines dans l'espoir de continuer d'exister en tant qu'ascendance ou descendance d'hommes qui ne lui doivent rien. La passion de la généalogie actuelle trouve l'une dans ces causes dans cette volonté d'exister par rapport à d'autres en dehors du temps et de nier ses outrages. Tout cela n'est qu'agitation. Même en admettant que ses descendants s'intéressent à leurs origines, saisis eux aussi par l'effroi de l'oubli, il ne sera qu'un noeud dans un fragile arbre. Il sombrera tout de même dans l'oubli seul son nom survivra. Pire que la mort de l'oubli, voici que l'homme resterait sur terre, il ne serait qu'un nom, un fantôme incapable d'exister ou d'agir et qui continuerait d'exister sans n'être rien d'autre qu'un vide fini. Ne vaut-il pas mieux sombrer dans l'oubli que d'essayer en vain de s'agiter et de conserver une illusoire existence ? Je hais celui qui refusant sa mort, s'agite pour survivre.

Car l'homme peut survivre mais au lieu de s'agiter, il doit agir. Le divin Achille a eu ce choix : les oracles dès sa naissance le prévinrent qu'il pourrait choisir de s'agiter, de fonder une famille et de disparaître quand les enfants de ses enfants auront eux aussi disparu ou au contraire d'agir, de mourir contre les dompteur de cavales, les illustres Troyens sans descendance mais de voir sa gloire survivre aux outrages de Chronos le fourbe. Le Péleide choisit la gloire et la mort et nous nous souvenons de ces exploits. Ceux sont eux, les Immortels : ceux dont la volonté outrepasse le confort et la sérénité pour sombrer dans la recherche effrénée de leurs gloires. Ils ont repoussés l'idée de n'être qu'un parmi tant d'autres et ont vécu leurs vies en tant qu'individualité. La généalogie individualise le nom et le protège du temps, l'action individualise l'homme et le protège de la mort.

Pourtant, il ne suffit pas de vouloir pour se protéger de l'oubli, il faut être aussi l'égal de l'homme aux pieds ailés, il faut avoir des talents immenses, du génie et chercher à créer à partir d'eux une action. L'action se différence de l'agitation par son caractère unique : on peut s'agiter de la même façon pendant une éternité mais l'on ne peut agir qu'à un seul instant. Le génie que la volonté pousse est capable de cette acte original et c'est pour cela que l'on se souviendra de lui.

Quand je vois cette myriade de personnes que notre siècle produit à la recherche d'une gloire éphémère, je souris. Elles auront sans doute leurs quart d'heure de gloire mais n'ayant aucun génie particulier, elles s'agiteront et elles plongeront bien vite dans l'oubli. Seul les génies sont condamnés à l'immortalité : Mozart, Homère, Achille ou César nous nous souviendrons de votre vie car vous avez agit alors que nous nous sombrerons dans l'oubli car nous n'avons su que nous agiter.

Nous autre, Mortels, sommes condamnés à l'angoisse de l'oubli et je regarde mourir ces temps mortels auquel aucun homme ne survivra car nous nous agitons sans arrêt et n'agissons jamais. N'allons pas croire qu'il s'agit là de la preuve d'une dégradation de l'humanité : bien des siècles n'ont laissés que des ruines Seuls quelques siècles ont laissés un phare encore en état.


Les générations effacent les précédents : mais est-ce un mal ? Devons-nous conserver le souvenir de notre médiocrité ? Ne devons-nous pas accepter de sombrer dans le sombre oubli et de ne garder que le souvenir de l'exceptionnel ? La génération qui née efface celle qui la précède mais parfois, un homme dépassera cette fatalité : celui-ci est le véritable Héros, l'Homme.