Je ne vois autour de moi que des libertés déjà asservies et qui tentent de s’arracher à la servitude natale. ( Lettre en réponse à Camus, Sartre )
L’homme est bien souvent condamné à la tristesse: il subit des événements qui l’accable et les nomme “fatalité”. Sans doute, l’être humain ne peut-il pas grand chose face à cette odieuse réalité : que peut celui dont le frère emporté par le hasard et le noir trépas, n’est plus qu’une masse amère et putréfiée ? Que peut celui dont la femme rongée par le triste crabe a du, sans son mari, faire une ultime et funeste lune de miel ? Ce sombre tango est le lot de tous les hommes : l’autre s’éteint pendant que nous lui survivons. Qui pouvons nous ?
Malgré ce constat, l’homme est envahit par la tristesse quand il entend résonner, pour un autre que lui, le pas du lourd Pluton et qu’il voit rejoindre l’immense contingent des morts, ses amis et ses proches. Pourquoi s’accable-t’il celui qui ne peut rien ? Pourquoi s’effondre-t’il celui qui ne pouvait dévier le trait de l’aride archer ? Mais que regrette-t’il cet homme qui n’a aucune prise sur le monde ? L’homme regrette sa liberté qui le rend responsable de ses maux.
La tragédie humaine vient de la conscience de la contingence des événements - est-ce une illusion ? Cela est un autre débat qu’il est inutile ici de développer; elle vient cette connaissance qu’à l’homme de l’immuable savoir humai : je suis libre, je suis responsable. Ces deux savoirs - la Liberté et la Responsabilité - sont les deux faces de Janus : l’un ne va pas sans l’autre. Terribles, ils marchent côte-à-côte ravageant l’espoir humain. Pour échapper au terrible fardeau de la responsabilité, il faudrait accepter la servitude.
Sachant que le fil des événements est soumis à sa volonté et non, à celle des Parques, l’Homme prend conscience qu’il porte le poids du monde. Certes, chacun sait qu’il est responsable de ses actes mais le malheur lui révèle aussi sa responsabilité vis-à-vis du monde. Tel Frantz dans Les Séquestrés d’Altona de Sartre, les sombres chemins du temps nous pousse à prendre le siècle sur nos épaules et à l’assumer.
Le chagrin d’Achille n’aurait pas été aussi grand si la mort de Patrocle était le fruit d’un décret olympien. La tristesse du Péleide vient du fait qu’il est choisi de partir pour Ilion, de voir mourir ses amis et lui-même pour la gloire alors même qu’il aurait pu opter pour le confort et l’oubli sauvegardant du même coup, la vie de son illustre écuyer. Certes, il n’a pas tué Patrocle, mais l’homme aux pieds ailés l’a offert au taciturne Thanatos. Notre situation est la même : les portes du trépas s’ouvrent à nos proches, le monde s’effrite sous nos yeux et nous savons que cela est notre faute car nous pourrions faire tout cesser en rejetant le monde, en le fuyant : il nous reste toujours le choix de cesser de vivre mais nous ne le prenons pas car bon gré mal gré, le monde et ses malheurs nous plaisent. Certes nous ne tuons pas de notre prochain mais nous le regardons tomber, nous admirons l’obscurité recouvre d’innombrables yeux inconnus sans sourciller car nous aimons être libre. Nous acceptons les affres de la responsabilité car nous voulons les jouissances de la liberté.
Pourtant, les hommes ont souvent été incapables de supporter leurs responsabilités et ils ont choisi la servitude : il se plit à un maître - est-ce Dieu ? la Raison ? ou encore, la Réalité ? Cela n’a pas d’importance. Il découvre dans ce maître une nécessité : un point inviolable du monde, un endroit où leurs volontés n’a aucun influence. De ce point, ils peuvent développer un dogme, re-créer le monde. Découlant de cette idée, ils construisent le monde en s’appuyant sur cette nécessité. Ainsi naissent les idéologies, les logiques d’une idée. Le monde qui les entoure devient nécessaire et ils peuvent bâtir un dogme. Ce dogme décrit une conduite vertueuse qui consiste à accepter le monde tel qu’il est décrit par l’idéologie. Or cette conduite vertueuse sauve l’homme de sa responsabilité puisque s’ils s’y conforment alors les malheurs qui les accableront seront les fruits de la nécessité sur lequel ils n’ont pas d’influences. Nietzsche avait tort la religion ne créait pas la responsabilité, elle vise à la supprimer. Croire en une nécessité nous protège de la responsabilité. L’homme espère trouver dans ce maître la fin de ses malheurs, ils espèrent supprimer sa responsabilité. Et pourtant malgré cette servilité volontaire, nous restons libre de mourir et le monde n’en est pas moins empli de larmes.
L’homme est condamné au désespoir : la condamnation à cette maladie mortelle date d’avant notre naissance et survivra à notre mort à tous. Le Styx charrie chaque jour une légion de cadavre où chaque macabre soldat est complice du crime de l’humanité : être libre. La liberté nous offre les pires tourments : celui de devoir accepter le monde et son lot de corps sans vie; mais les plaisirs et les joies infinis que nous réservent cet ambiguë donatrice nécessitent que nous osions regarder et assumer cette lancinante vérité.
Bonjour
RépondreSupprimerJe lis régulièrement vos posts et je vous en remercie. C’est vraiment passionnant ! Je sors pour une fois de mon silence pour vous faire part de ma lecture de Folle Alliée par Emma Psyché, un roman sombre sur la deuxième guerre mondiale et la déportation des homosexuels.
J’ai été très étonné de cette lecture bouleversante, je n’ai pas lâché le livre avant de l’avoir fini et je l’ai, depuis, relu avec plaisir.
Connaissez-vous cette auteur ? Ce roman ? J’aimerais connaître votre avis, c’est important pour moi de partager cette vive émotion et de savoir ce que quelqu’un d’important pour moi comme vous l’êtes peut en penser.
Je ne sais si vous trouverez un exemplaire quelque part en librairie, il date de 2003. J’ai vu qu’il s’en vendait d’occasion sur amazon.fr - cependant j’ai acheté le mien sur ebay.fr tout bêtement, à l’auteur qui dédicace d’ailleurs les exemplaires vendus (moins chers en plus !)
Merci
AAron