mercredi 18 août 2010

Kessel and Co

Le hasard fait décidément bien les choses : il m'a amené à lire trois livres dans un temps restreint dont l'unité si elle ne saute pas aux yeux, saute à l'âme du lecteur et dont le lecteur que je suis, a extrait une douce mélancolie et une profonde joie. Mais essayons d'ordonner notre propos. Les livres dont je parle sont Le Jour se lève aussi de Ernest Hemingway, Les Neiges du Kilimanjaro ( et quelques autres nouvelles qu'il serait ardu de lister ici tant Les Neiges représent à la perfection l'ensemble de l'œuvre ) du même auteur et Le Lion de Kessel. Plusieurs remarques laminaires ( j'essaye de structurer mon propos afin de ne pas m'égarer, tant lorsque j'évoque ces livres, mon inclinaison naturelle me pousse à déblatérer dans tous les sens, tant la richesse de la sensation qu'éprouve le lecteur en les lisant, est importante. Alors cher Lecteur, excuse ma maladresse et ma lourdeur : « l'enfer est pavé de bonnes intentions » aurait dit Dante qui pourtant ne travaillait pas aux Ponts et Chaussées. ). D'abord, entre le Lion et les Neiges, Les Frères Karamazov de Dostovieski s'est glissé. Ce livre est sans doute l'antithèse des trois autres et je m'en servirai pour souligner l'originalité des trois œuvres. Ensuite, ces quatre livres sont des « Classiques ». Ils appartiennent à une étrange catégorie de livres : d'une part, il est de bon ton de les avoir lu dans sa jeunesse car ils sont le socle de toutes éducations classiques et d'autre part, il est du plus mauvais effet de les lire car ceux ne sont pas des lectures « sérieuses ». Personnellement, je ne les avait jamais lu mais ne nous leurrons pas : la vie de l'Homme est trop courte pour tout lire et à mon grand regret, il existe une infinité de livre que l'on souhaiterait lire mais qui hélas, dans la succession de nos lectures ne trouvent jamais leur place et qui lorsqu'on les aperçoit dans les rayonnages d'une librairie nous attirent comme un monde inconnu que l'on espère un jour atteindre mais qui semble se dérober continuellement sous nos pas. Tel la tortue d'Achille. ( je renvoi pour expliciter ce sentiment à l'incipit de Si par une nuit d'hiver, un voyageur d'Italo Calvino). Personnellement, je me désespère tant L'Homme qui rit et Le Procès semblent vouloir me narguer du haut des étagères des libraires. Enfin, les sentiments que j'ai pu éprouver à la lecture de ces livres est, sans aucun doute, lié au fait que j'ai pu les lire dans l'édition des Livres de Poches, non l'édition moderne mais celle que tous ceux qui comme moi empruntent allégrement dans la bibliothèque de leurs parents connaissent, celle où les couleurs vives se mélangent aux couleurs les plus sombres sur la couverture où il n'y a pas de résumé sur le quatrième de couverture où les pages sont jaunâtres et ont une odeur très caractéristique où le titre sur le dos du livre est écrit en noir dans une forme entre le rectangle et l'ovale dont la couleur rappelle les dominantes des coloris de la couverture. Bref, dans cette édition de poche qui provoque instantanément une mélancolie soudaine et incontrôlée.

Ces remarques faîtes, rentrons dans le vif du sujet. Qu'est-ce qui unit ces trois livres face au pavé de Dostoïevski ? Le Soleil, la brièveté et intériorité. La trinité livresque que je décrit à en effet pour premier point commun de se passer au soleil, cet élément y joue un rôle prépondérant. Remarquons en effet, que toutes les actions, toutes les vérités sont professés au soleil. Par exemple, dans Le Lion, la première scène se déroule dans la brumeuse aube mais le spectacle des animaux buvant dans l'abreuvoir ne prendra toute sa majesté que quand le soleil aura dépassé le Kilimandjaro et illuminera la scène de ses rayons. Ensuite, il s'agit de livres brefs ( l'un d'entre eux étant même une nouvelle ) contrairement au Dostoïevski qui est un livre, dans la pure tradition russe aussi majestueux qu'imposant. Mais ce qui unit profondément ces trois livres c'est l'intériorité qui y est mis en scène. Je m'explique. Ces trois livres décrivent les sentiments d'un personnage : ils sont à la première personne ( mise à part certaines nouvelles des Neiges mais dans ce cas le narrateur ne décrit que les sentiments du personnage principal, en tant que narrateur subjectif , il y a très peu de personnage ( deux dans Les Neiges du Kilimandjaro, quatre dans Le Lion, six ou sept dans Le Jour se lève aussi ). Ces trois éléments unifiants permettent aux livres de devenir les livres du désespoir interne : ils décrivent comment les héros se sentent exclus du monde qui les entoure ( rien ne sert de démontrer cette affirmation : qui a lu ces livres avec l'âme d'un enfant ne peut que la ressentir ), et le Soleil a pour fonction de mettre en valeur ce désespoir. Le désespoir interne trouve en effet, toute sa profondeur le jour car à ce moment de la journée, on se doit en théorie d'être parfaitement intégré au monde. Au contraire, Dostoïevski narre le désespoir externe de chacun de ces personnages, ils montrent la tristesse de leurs rapports ( ce qui explique le besoin d'avoir une multitude de personnage afin de montrer comment chacun de ces rapports est la source d'un désespoir alors que nos auteurs de l'intériorité ont besoin d'un nombre minimal de personnages pour ne pas perdre l'aspect intérieur de leurs descriptions. ) et l'incompréhension qui existe entre eux ( l'exemple le plus frappant étant la scène de l'interrogatoire de Dimitri Karamazov ). Dostoïevski s'oppose à Hemingway et Kessel dans la mesure où les uns décrivent comment un homme peut être désespéré dans son rapport au monde alors que l'autre décrit comment le monde peut être désespéré.

Cher lecteur, je ne continuerai pas mon explication. D'abord parce que je me rend compte de son simplicité, de sa futilité et de sa lourdeur et ensuite, parce que je sais que celui qui a lu ces livres comprend parfaitement ce qu'il exprime : ici mon explication devient inutile car entre lecteurs, il n'est pas besoin de mots pour décrire la magie de tels livres.

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