Je souhaiterais simplement glisser quelques idées, quelques fulgurances peut-être, concernant un des thèmes qui m'est très cher : la liberté. La liberté et son inutilité, ou la quête d'un graal que je trouve absurde. Un progrès que nous payons chaque jour, devant les déboires de notre société.
La liberté. J'oublie un instant la conception causa sui de la liberté, pour me concentrer dans un premier temps sur ses aspects anthropologiques, et sur la liberté politique, et déverser toute ma bile contre ces libertaires que j'exècre, ces bien-pensants qui critiquent la Chine, ces personnages politiques à vomir qui crachent sur l'URSS. Que dire. Il y a encore tout à dire.
La jeunesse ne rime pas toujours avec la révolte, ou plutôt, un âge encore peu mûr n’est pas toujours synonyme d’envie de liberté, de progrès, comme si le simple fait de prononcer ce mot devenu sacré d’ « avancée » suffisait à déclencher dans le Moi freudien des élans incontrôlés.
Liberté. L’homme a bien trop confiance en lui-même, ou alors il pêche par orgueil, pour estimer que chacun d’entre nous doit avoir sa part de liberté. La liberté est devenue un combat de tous les jours, comme si 1789 était le début de tout, le Verbe, comme s’il fallait reproduire ad libitum une bataille qui a déjà eu lieu. La France pays de liberté, pays des droits de l’homme. Au nom de ces concepts c’est le principe même du « vivre ensemble » qui est condamné. Les hommes ne savent pas se servir de la liberté. Les hommes sont incapables de survivre sans un Etat fort. Il serait vain de tenter de démontrer cette dernière proposition en seulement une page d’écriture dénonciatrice, mais schématiquement, il est possible de mettre en lumière de nombreux aspects de la question. L’homme est sans doute le zoon politikon d’Aristote. L’homme ne peut certainement pas vivre sans autrui, et l’autre, c’est moi, aura-t-on dit. Néanmoins, est-il capable de vivre « en liberté » ? N’est-ce pas plus lâche de donner à l’homme des droits qu’il s’empressera d’utiliser sans réfléchir, plutôt que de le restreindre en vue du bien commun ? Car c’est traditionnellement le bien commun qui est visé à travers la vie en société.
Les exemples d’Etats autoritaires ne font jamais long feu, hélas, sans doute parce qu’ils n’ont pas vocation à durer, parce que la nature humaine a soif de liberté, ou plutôt, parce que l’Occident, les Etats-Unis, offrent un modèle de réussite apparente, un pays de Cocagne qui se matérialise. Comment blâmer des populations qui entrevoient un fac-similé de vie plus douce de l’autre côté de la frontière ?
Nous entretenons l’idée que le modèle capitaliste est le plus à même de répondre aux besoins des hommes, et, de même, nos pays légitiment peu à peu le droit d’ingérence, (théorisé par Revel) le droit d’aller imposer à l’autre, chez l’autre des pratiques, des idées qui ne sont pas issues de sa tradition, de violer le principe de souverainté des Etats, au nom de la « liberté », officiellement en tout cas. C’est d’une absurdité et d’une hypocrisie sans nom. C’est instituer une échelle de valeurs au sein des régimes et des modes de gouvernance, c’est considérer qu’une hiérarchie des façons des gouverner un pays a émergé depuis que « la liberté » règne en maîtresse sur les pays occidentaux. C’est ne pas respecter le cheminement de chaque peuple, son histoire, son fonctionnement. D’aucuns diront qu’il est criminel de laisser mourir de faim un peuple à cause de son chef d’Etat véreux. C’est l’exemple type. Certes. Comment décemment affirmer le contraire. Cependant les ONG sont là pour pallier ce type de problèmes. C’est exactement ici que le bât blesse. Il est tout aussi criminel que ce soit un Etat qui officie au nom de la liberté et des droits de l’homme DANS un autre Etat. Il me semble opportun de citer simplement le titre d’un livre d’Immanuel Wallerstein :L'universalisme européen : de la colonisation au droit d'ingérence.
Ne pourrait-on pas avancer l’idée que le droit d’ingérence est une forme de colonisation ?
Mais je m’égare. La liberté politique est sans conteste un cadeau empoisonné, une porte vers plus d’inégalité, on conditionne les individus de telle manière qu’ils soient persuadés que la liberté est la clé de voute du bonheur terrestre. C’est une des perversions de notre temps, c’est quelque chose qui me déchire le cœur. Je crois sincèrement qu’une restriction des libertés, sans doute pas totale serait un moyen sûr de régler de nombreux problèmes. Cependant il est impossible de faire machine arrière. Et ce genre de discours est vite qualifié de fascisant, rappelons simplement ici les travaux d’Adorno sur les « personnalités autoritaires », travaux intéressants mais qui ont eu le malheur d’être galvaudés. On fait de l’autoritarisme la bête noire de notre société. Pourtant parfois, la liberté n’est-elle pas la porte vers un inconnu qui dépasse l’homme, qui le pousse à agir de manière incohérente ? Ne gagnerait-il pas à se voir imposer certaines règles, définies selon des critères encore inconnus (c’est ici la faiblesse de la théorie que je défends !), mais qui lui apporteraient une forme de cadre ? La vraie liberté n’est-elle pas, en reprenant la forme de la conviction rousseauiste sans en puiser la substance, de savoir obéir ?
Maintenant, il convient de continuer une réflexion sur la liberté en abordant ce thème d’une manière plus philosophique.
La liberté ? Peut-on dire qu’elle existe vraiment ? Comment affirmer, que l’individu est pleinement libre, comme l’on fait les existentialistes ? En le clamant haut et fort, c’est une nouvelle forme de théologie qui se crée. Ne serait-donc pas proclamer une deuxième fois « credo quia absurdum ? »
Ici il serait bon de se pencher sur le célébrissime texte de Nietzsche dans lequel il déclare avec vigueur que la liberté n’existe pas : elle serait la création des théologiens, la pierre de touche de ceux qui veulent punir, la raison d’être de la responsabilité. Bien sûr, Nietzsche critique peut-être de façon trop véhémente les théologiens, et il a fondamentalement tort lorsqu’il accuse les hommes d’Eglise d’avoir inventé la liberté. Non je crois que c’est l’homme sans attribut, l’homme brut qui a créé la liberté. Peu importe son étiquette : croyant, philosophe, politique. La liberté est nécessaire à notre société. Sans liberté, toutes nos valeurs s’effondrent, tout notre système s’annihile de lui-même. La liberté d’être causa sui s’évanouit. Il est alors facile, rassurant, de croire en une forme de liberté ! Si l’on venait à prouver que l’homme n’est philosophiquement pas libre, que se passerait-il ? Nietzsche était bien trop optimiste quand il disait qu’après l’affirmation du nihilisme des valeurs, ressortirait grandi l’homme créateur. Non, le chaos nous guettera sans doute, parce que l’homme aura peur. Ce n’est pas à cause de la découverte de sa liberté que l’homme a peur, mais bien plutôt l’inverse. Kierkeagaard s'est trompé. L'homme a peur de mettre à mal sa liberté. Il ne peut, à l’heure actuelle, avancer sans ce concept. Liberté synonyme de qualité d’homme chez Rousseau, liberté comme POSTULAT ( !) de la raison pratique chez Kant, liberté comme reflet de la totalité de notre vie selon Bergson.
Il faudrait que l’homme sorte du carcan libertaire, et Nietzsche l’y invite. Seulement, comme toute prise de conscience, elle ne se fera pas sans douleur. Le Surhomme est sans doute inaccessible.
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